DROIT DE REGARD SUR LES IDÉES (SUITE) (vol. 2) – Ghérasim Luca

non daté [1962-1967], ex. unique.
– 104 p. ; 18 x 13 x 5 cm ; (ø) – album de cartes postales, 59 cartes ; texte autographe, écriture cursive, mine de graphite sur dos de cartes.
– couv. percaline imprimée ; 49 planches, papier fort gris avec encoches.
Fonds Ghérasim Luca, donation Micheline Catti ; inv. n° 082 23.

Détails

Album de cartes postales de 49 planches de papier fort gris, deux encoches à chaque coin.

Couverture en percaline motif imprimé style boteh ; dos décollé, volume à demi déboîté, quelques réparations d’époque au scotch sur les encoches arrachés ; gardes papier fort gris.

59 cartes postales des années 1910-1920 réunies en séries suivies (Cours Dupanloup, Message Maritime, Ecole des Arts et Métiers, portraits ethniques).

Textes autographes, écriture cursive, à la mine de graphite, sur 42 cartes postales retournées (dont 4 laissées vierges) ; reproduction de la deuxième moitié du texte homonyme publié par Brunidor en 1967, «illustré par Micheline Catty».

Inscriptions horizontales ou verticales selon l’orientation de la lettre en vis-à-vis ; page de titre autographe à la mine de graphite, en lettres capitales ; agencement presque régulier des manuscrits et photographies, avec, pour chaque double page, une carte postale et une carte retournée et écrite, sauf pour la page de titre, seule, 10 doubles pages de photographies.

Les deux volumes des albums «DROIT DE REGARD SUR LES IDÉES» offrent une perspective inédite sur la genèse d’un des textes majeurs de l’œuvre de Ghérasim Luca. Son parcours éditorial du vivant de l’auteur – entre l’album, la publication de 1967 chez Brunidor, de 1976 au Soleil Noir et de 1989 chez José Corti – peut surprendre autant par la variété des dispositifs d’accueil du texte que par la permanence de sa structure entre les années 1960 et 1980. Comme souvent chez Ghérasim Luca, étiré entre plusieurs médiums (texte, voix, image, film, sculpture, dessin, peinture), le texte s’enrichit de cette diversité par ce que Dominique Carlat appelle un état de «superposition» des modalités du poème (Ghérasim Luca l’intempestif, José Corti, 1998, p. 293).

Transcription

«DROIT DE REGARD / SUR LES IDÉES / ( SUITE ) /// [orientation horizontale] Eux qui normalement / se laissent fasciner / tout de suite /// étaient comme aveuglés / par des larmes secrètes / et des gémissements saccadés / sortaient de leurs orbites /// On comprendra que ce soit là / un exemplaire extrême / à perte de vue /// Quand au long regard /// il n’arrive presque jamais / à pénetrer / dans l’œil de l’idée /// il n’y a d’ailleurs rien pour l’y attirer /// Seuls / les voyageurs à courte vue /// en dépit des choses / plutôt rudes / à l’entrée /// subissent / un traitement / plus doux /// et on les laissent / se retirer /// au bout d’une demi-heure /// [double page photo] /// [lettre vierge] /// ce qui vaut mieux /// que d’être retenu à vie /// On trouve pour certains / un exemple de long / emprisonnement /// C’est l’acte / de cesser de regarder / qui déclanche / le mécanisme de libération /// mais les voyoux / ne procèdent pas toujours / progressivement /// et s’ils se produit / le moindre contre-temps / l’œil de l’idée / ne s’ouvrira plus /// L’idée que j’ai vu / était ainsi /// Son œil était privé / de lumière /// mais / il dégageait une lueur / masquée /// [orientation verticale] qui attirait /// A moins que les glandes / idéatives / ne secrètent quelque suc / invisible / qu’elles peuvent opposer / de temps en temps / les regards entrent / sans rencontrer d’obstacle /// [orientation horizontale] Il ont pour ce faire / à descendre le long du / clignotement / par les deux cercles de / rides raides / qui poussent inclinés / vers le bas /// Les regards peuvent passer / en pressant contre / les exrêmités plus flexibles / mais / il leur est impossible / de revenir en arrière / car ces extrêmités ne sont / inclinées que d’un côté /// Il se trouve alors / dans une petite chambre / au milieu de la vision même /// et tandis que pris de panique / ils font des efforts pour sortir /// ils se couvrent d’images /// Etant donné que la barrière / en haut / ne peut être franchie / il leur faut descendre / à travers la seconde zone de cils / disposé de la même façon que la première / C’est alors que se révèle / le côté fascinant / de la trappe /// car aussitôt qu’une quantité / d’images / suffisante pour émerveiller l’œil / surgit /// les zones de cils se détendent / se contractent / et finalement se recroquevillent /// [orientation verticale] plus rien dans ces conditions / n’empêche les penseurs / de prendre leur liberté /// Il peut passer / deux ou trois jours / avant qu’ils soient relachés /// [2 double pages photo] /// car / déclancher les images / par petits à-coups / ne suffit pas / pour ouvrir l’œil / (la trappe) /// [4 doubles pages de photo] et la distribution de / non-images / doit se faire /// perpétuellement /// [lettre vierge] /// [double page de photos] /// [lettre vierge] /// [deux double pages de photos] /// [lettre vierge, fin]»

Références

Le texte de l’album est le même que celui de la première publication du «Droit de regard sur les idées», chez Brunidor en 1967, puis des Paralipomènes (éd. Le Soleil Noir, 1976), p. 9. Il est scindé en deux volumes dans les albums. Quelques variantes sont à noter.

Variantes majeures

Manuscrit de l’album (gauche) et publication courante (droite):

– «qui déclanche» / «déclancher les images» > «déclenche» (récurrent) ;

– «rides» > «cils» ;

– «les exrêmités plus flexibles» / «car ces extrêmités ne sont» > «extrémités» (même jeu dans l’album POINT DE LIT-TIGE) ;

– «Il se trouve alors» > «ils se trouvent alors» ;

– «Etant donné que la barrière / en haut / ne peut être franchie / il leur faut descendre / à travers la seconde zone de cils / disposé de la même façon que la première» > paragraphe supprimé.

Si certaines variantes orthographiques peuvent relever de l’erreur – celles-ci ne sont pas relevées –, d’autres s’intègrent dans une systématique qui porte à s’interroger sur le caractère délibéré de la faute. D’autres encore, témoignent d’un parcours du texte dans le temps. Bien que l’album ne soit pas daté, ces remaniements légers démontrent l’antériorité de ces manuscrits sur les premières éditions courantes lancées à partir de 1967 avec la publication chez Brunidor.

Organisation des photographies

35 photographies du Cours Dupanloup.

5 photographies de la Messagerie maritime (dont 4 en double pages).

1 photographie de la Bibliothèque nationale.

7 photographie de l’Ecole Nationale d’Arts et Métiers de Châlons sur Marne.

1 photographie de nouveau du cours Dupanloup.

1 photographie de l’Hostellerie Guillaume le conquérant.

Puis 9 portraits (2 des Missions du Sacré cœur au Rajputana, 1 de femmes blanches jouant à la plage, 2 photos ethniques de femmes arabes, 4 «coquettes» déshabillées).

On note un mélange déstabilisant entre des photographies ethniques (dont l’une de deux enfants indiens affamés) et des photographies de corps de femmes charnues, dont les «coquettes», à l’expression tranquille.