« MOT » – (SANS QUEUE NI TÊTE) VALISE – Ghérasim Luca

non daté [1962-1963], ex. unique.
– 32 p. ; 23 x 19 x 6 cm ; (N’) – album photo, 34 clichés ; texte autographe, «aux petits points», lettres capitales, encre blanche sur Canson noir ; 27 dessins «aux petits points».
– couv. cuir noir ; 15 planches, carton fort gris ajouré.
Fonds Ghérasim Luca, donation Micheline Catti ; inv. n° 071 23.

Détails

Album photo de 15 planches de carton fort, grises ajourées de part en part (1 ou 2 fenêtres par page).

Couverture cuir à gros grain, noir ; fermoir métallique complet et fonctionnel ; coins renforcés, emblème centrale et cabochons métalliques ; tranches dorées ; reliure partiellement décollée, premières et dernières pages mobiles ; une seule garde au début du livre, carton fin, jauni, motif bouquet de fleur, détachée de la reliure ; degré d’usure important.

34 photographies et illustrations XIXe siècle, portraits (hommes, femmes, enfants, seul ou à deux) agencées par ressemblance, degré d’usure ou par doublons.

Textes autographes en capitales, «aux petits points», à l’encre blanche sur 16 feuillets de Canson gris granuleux, découpés au format carte de visite ou cabinet en fonction des ajours, variations entre caractère de corps gras ou maigre.

Cet album mène aux portes de l’humour potache. Qu’il s’agisse de la dernière page grivoise ou de la source extravagante pour convoquer Virgile, un pas semble séparer l’énigme de la blague. Un lieu d’explication propre au surréalisme, peut-être : l’humour amoral pour que la «MORT RÂLE». Autrement dit, une manière de regarder la mort dans les yeux par les détournements comiques et les déplacements dans le langage (voir Dominique Carlat, «La postérité de l’humour», Ghérasim Luca l’intempestif, José Corti, 1998 p. 354).

Transcription

(en gras, les caractères manuscrits en corps gras dans l’album) :
« «MOT» – / (SANS QUEUE NI TÊTE) / VALISE /// SUIVI DE / «MOTS» / (SANS TÊTE NI JAMBES) / RENVERSÉS /// À DOUBLE FOND /// FLEUR /// FLÈCHE-HEURE /// FOU /// OUF /// FEU /// OEUF /// MORT /// RÂLE /// LE BOEUF / MUE / GIT /// «… MAIS IL A LE REPOS, L’AIR / LA PAIX EN TOUS LIEUX, // LA BONNE VIE À QUI / L’ON A FAIT CONFIANCE // DES GROTTES ET DES EAUX / LA FRAICHE SOURIANCE // ET LE BOEUF QUI MUGIT…» // VIRGIL / (GEORGIQUE, II, 458) /// EXTRAIT DE / «CAMPAGNE ET JARDINS» / REVUE ÉCONOMIQUE FRANCO-SUISSE / NUMÉRO 3 – 1960 /// ENTRE «CLOÎTRE ET LATRINE» / DONT PARLAIT / (BOSQUET, LE MONDE) // LA «CONCUBINE» / SANS CON NI QUEUE // DE L’AUTRE CÔTÉ»

Références

Le procédé d’écriture (encre blanche sur canson gris) est identique à l’album TIR À L’ARC-ENFER.

On trouve un certain nombre d’accointances entre ce texte et la deuxième suite de la section «Paralipomènes», Paralipomènes (éd. Le Soleil Noir, 1976), p. 87 : «mot-valise à triple fond […] apostrophe de «fond»… / ou de «mort», / sans queue ni tête» > ««MOT» – / (SANS QUEUE NI TÊTE) / VALISE /// SUIVI DE «MOTS» / (SANS TÊTE NI JAMBES) / RENVERSÉS /// À DOUBLE FOND».

Comme indiqué par Ghérasim Luca, le poème cité est de Virgile et se trouve bien dans le N°3 de 1960 de la «Revue économique franco-suisse», p. 126. Suit, le poème intégral, en gras la partie citée par Luca :

« Oh ! trop heureux vraiment, s’il savait son bonheur,
Serait le paysan ! Sans querelle et sans heurt,
Terre vient le combler de toute subsistance.
Il n’a point de palais dont la fière apparence
Cache mal le flot noir des clients agités.
Il ne peut caresser les panneaux incrustés,
Les lourds tapis dorés ni les bronzes d’Ephy,re.
De laine sans teinture il lui faut se suffire
Et l’huile à la cannelle est trop chère à ses yeux.
Mais il a le repos, l’air la paix en tous lieux,
La bonne vie à qui l’on a fait confiance,
Des grottes et des eaux la fraîche souriance,
Et le boeuf qui mugit
, et le somme à midi
A l’ombre du vieux tronc, mollement assoupi.
Il débûche au fourré le sanglier sauvage,
Durcit patiemment sa jeunesse à l’ouvrage,
Apprend l’austérité des fiers renoncements,
Et le respect des dieux et l’amour des parents,
C’est chez lui que Justice aurait vécu sur terre…!»
(Géorgiques II 458)

L’ANGE «JE» – Ghérasim Luca

non daté [1963-1970], ex. unique.
– 34 p. ; 17 x 13 x 4 cm ; (21’) – album photo, 20 clichés ; texte autographe, mine de graphite sur l’album et encre blanche «aux petits points» sur canson noir.
– couv. cuir rouge frappé ; 15 planches, carton fort ajouré.
Fonds Ghérasim Luca, donation Micheline Catti ; inv. n° 077 23.

Détails

Album photo de 15 planches de carton fort, ajourées de part en part (1 fenêtre par page).

Couverture de cuir rouge frappé, tranches dorées ; fermoirs métalliques absents, trois des quatre tenants restent mais pas les accroches ; gardes en papier fin strié et gondolé.

20 photographies fin XIXe, format carte de visite, différents portraits (hommes, femmes, femmes âgées, bustes ou plain-pied, assis et debout) ; seules les trois photographies issues du photographe A. C. BAUDELAIRE ont le verso visible (pas de photo ou de feuillet de l’autre côté de l’ajour), elles sont significativement disposées, en première page (de dos, de sorte que la première page fasse paraître «Baudelaire») et en double page entre les pages 3 et 4.

Quelques photographies légèrement modifiées au stylo à bille noir ou à la mine de graphite.

Pour les deux premiers tiers de l’album : texte autographe, à la mine de graphite, en capitales, sur la partie inférieur des doubles pages, à cheval sur le pli central ; à partir du dernier tiers de l’album : texte autographe, «aux petits points», en capitales à l’encre blanche sur 6 feuilles de papier canson noir, format carte de visiste, inséré dans les ajours sans photos ; dernier ajour : rempli au verso par un feuillet de canson noir vide.

Retranscription du poème en capitales à la mine de graphite sur le recto de la dernière garde.

Le «,,JEU’’ sans ,,U’’ /// (NI ,,T’’) de L’ANGE «JE» est un jeu de piste en déroute. L’unité de l’album, du texte, du sens et du rapport qu’engagent texte et photographie, est mise à mal par l’irruption spontanée des données, qui à la fois s’attirent entre elles et se repoussent. «Tu» et «je» s’emmêlent, dans ce jeu que l’album suivant (DÉ-MONOLOGUE HORS DE SOI, n°22’) annonce comme une «SCIENCE DE LA PERTE / DE SOI».

Transcription

(« | » = indique un passage de la page de gauche à la page de droite ; le texte souligné dans la transcription est écrit aux petits points blancs sur noir)

« L’ANGE «JE» /// ENJEU | PURULENT /// TUE | SANTÉ /// ,,J | E‘‘ / EN | ,,JEU‘‘ PUR /// ,,U‘‘ | LENT /// (,,TU‘‘ SA | NS ,,T‘‘) /// ,,JEU‘‘ S | ANS ,,U‘‘ /// (NI | ,,T‘‘) /// SANS « JE » /// NI « TU » // LA SUPÉRIEURE / VIRGULE / ( ’ ) /// LE SUPÉRIEUR / INCONNU / ( ) / EN / « TÊTE À TÊTE » / SANS « T » NI « É » /// À SANTÉE NIÉE /// [retranscription autographe, mine de graphite, au recto de la dernière garde :] ENJEU PURULENT / TUE SANTÉ / ,,JE‘‘ / EN ,,JEU‘‘ PUR / ,,U‘‘ LENT / (,,TU‘‘ SANS ,,T‘‘) // ,,JEU‘‘ SANS ,,U‘‘ / (NI ,,T‘‘) // SANS ,,JE‘‘ NI ,,TU‘‘ // LA SUPÉRIEURE VIRGULE ( ’ ) / LE SUPÉRIEUR INCONNU ( ) / EN ,,TÊTE À TÊTE‘‘ / SANS ,,T‘‘ NI ,,É‘‘ / À SANTÉE NIÉE»

Références

L’ANGE «JE» paraît être une version réduite de «Paralipomènes (fin)», Paralipomènes (éd. Le Soleil Noir, 1976), p. 88. Ci-dessous, la transcription de «Paralipomènes (fin)», en gras, les passages communs :
«PARALIPOMENES (fin) // enjeu purulent tue santé / «je» / en «jeu» pur «u» lent («tu» sans «t») / sans «je» ni «tu» // non-androgyne, la rebelle gynandre / apostrophe l’utopie établie // en «je» qui se perd en «jeu» / «u» seul survit (sur-vie) / «u» pur et lent (pur élan) / éperdu en «tu» sans «t» // «u» chute à vol d’oiseau (-mouche) / «u» chut! en air’ d’aigle-foie // La supérieure virgule ( ’ ) / Le supérieur inconnu ( ) / en « tête à tête » / sans « t » ni « é » / à santée niée».

– «EN / «TÊTE À TÊTE» /// SANS «T» NI «É» // À SANTÉ NIÉE» est une notation récurrente dans les albums, qu’on retrouve dans les albums APOSTROPHE D’ÊTRE, TIR À L’ARC-ENFER et L’OBJET DU REFUS.

Remarques

Le seul passage exclusif à L’ANGE «JE» est le suivant : «,,JEU’’ sans ,,U’’ /// (NI ,,T’’) /// SANS «JE» /// NI «TU»».

L’emploi des différents guillemets correspond à des différences de techniques d’écriture. Les guillemets [,,’’] sont utilisés en Roumanie, les [«»], sont dits «à la française».

Particularités

La première partie du texte est manuscrite à la mine de graphite en bas de page, à cheval sur le pli central.

Changement de technique, du manuscrit à la mine de graphite au manuscrit «aux petits points» blancs sur canson noir.

Retranscription du texte non pas sur un feuillet mobile, comme il est fréquemment fait, mais à même la dernière garde.

Le dos de seulement trois photographies est laissé apparent, tous trois portent la mention du photographe «A. C. BAUDELAIRE».

LE TRAVAIL POETIQUE – Ghérasim Luca

non daté [1962-1963], ex. unique.
– 36 p. ; 17 x 14 x 6 cm ; (17’) – album photo, 22 clichés ; exte autographe, «aux petits points», lettres capitales, encre blanche sur canson noir ; retranscription sur feuillet mobile, même technique.
– couv. basane chagriné noir ; 16 planches, carton fort ajouré.
Fonds Ghérasim Luca, donation Micheline Catti ; inv. n° 076 23.

Détails

Album photo de 16 planches de carton fort, ajourées de part en part (1 fenêtre par page).

Couverture de basane chagriné noir, nervuré au dos ; dorures sur l’intérieur des chasses ; loquet métallique entier et fonctionnel ; gardes en carton rigide, blanches avec motifs végétaux/floraux dorés.

22 photographies XIXe siècle dont 21 format carte de visite, et 1 plus grand format collée à la planche (et une collée sur Canson noir).

Textes autographes «aux petits points» blancs, lettres capitales, sur 8 feuillets de Canson granuleux noir format carte de visite (dont deux laissés vides), insérés dans les ajours ; sous les feuilles Canson noir (sauf première planche) feuilles fines, crème, avec texte identique (sauf retours à la ligne) à la mine de graphite, en capitales (non visible sans sortir les feuillets noirs des fenêtre).

Retranscription autographe du poème, à l’encre blanche, «aux petits points», avec ajout d’un paragraphe, sur feuillet mobile de Canson noir granuleux, même largeur (6,5 cm), plus long (14,7 cm), glissé entre la dernière page et la garde.

En tant que «sorcier poétique-politique» (L’Extrême-occidentale, José Corti, 2013, p. 14), Ghérasim Luca formule un continu entre ancrage amoureux et politique au sein du poème. Une tension tient le poème de part en part entre sa destination amoureuse, contractant un échange gratuit, non productif, et ses conditions d’exécution, dans un monde légiféré par l’échange marchand.

Transcription

«LE / TRAVAIL / POÉTIQUE /// ÉTANT / DESTINÉ À L’AIMÉE /// [canson vide] /// [canson vide] /// AU M’ONDE / FONDAMENTAL /// L’AMOUR / EST / INCOMPATIBLE /// AVEC LA LOI /// DE LA DISTRIBUTION DES MARCHANDISES /// [retranscription sur feuillet mobile :] LE TRAVAIL POÉTIQUE / ÉTANT DESTINÉ À L’AIMÉE / AU M’ONDE FONDAMENTAL // L’AMOUR EST INCOMPATIBLE / AVEC LA LOI DE LA / DISTRIBUTION DES / MARCHANDISES // REDUIT / À LA MISERE NOIRE / LE TRAVAILLEUR DE / FORCE CRIE / AUX ASSASSINS»

Références

La pastille collée en première garde nous montre que cet album est le n°17’. Il précède INDICIBLE INDICE CIBLE, n°18’. Une continuité s’installe entre ces deux albums : le premier discute la destination du poème à l’aimée, le second réalise cette déclaration.

Particularités

La retranscription manuscrite comporte un paragraphe supplémentaire par rapport au texte du corps de l’album.

FUMEURS ! – Ghérasim Luca

non daté [1962-1963], ex. unique.
– 58 p. ; 16 x 12 x 7 cm ; (7’) – album photo ; texte autographe, lettres capitales, mine de graphite sur canson crème.
– couv. chagrin vert ; 25 planches, carton fort ajouré.
Fonds Ghérasim Luca, donation Micheline Catti ; inv. n° 075 23.

Détails

Album photo de 25 planches de carton fort, ajourées de part en part (1 fenêtre par page).

Couverture de chagrin vert, chasses renforcées par une barrette de métal cuivré, tranches dorées ; fermoir métallique absent ; garde double, première en papier fin striée et gondolé, seconde en papier fin.

Photographies fin XIXe, format carte de visite ou plus petits formats (env. 6,5x4cm), différents portraits (hommes, femmes, bustes, plain-pied) ou détails de broderie et architecture ; nombreuses photos coloriées à gros traits.

Textes autographes en capitales à la mine de graphite sur 15 feuilles de papier Canson crème.

Certaines superpositions ont lieu entre papier Canson autographe et photographies de petit format : encadrement pris au format paysage, photos positionnées verticalement sur la gauche, laissant le texte visible sur la droite.

Ghérasim Luca se situe, non pas contre, mais hors de l’ordre, qu’il soit militaire ou religieux. Les références au paganisme du «DIEU-MOUCHE», comme la variation par la «GRANDE SOURDE», l’extraient des catégories attribuables pour se donner au «DÉSORDRE DES[…]ASTRES» qu’incarnent les figures de la ruine et le folklore éteint. L’album photo du XIXe siècle et les tirages qu’il contient véhiculent d’eux-même ce décalage recherché par Ghérasim Luca en présentant des objets hors-temps dans lesquels il s’intègre.

Transcription

«FUMEURS ! /// EN PASSANT /// DE /// L’,,ORDRE DES ASSASSINS” /// ’AU /// DÉSORDRE /// DES… /// ZZZZZ /// ZZZZZ /// ZZZZZ / DIEU-MOUCHE /// ZZZZZ / DIEU-MOUCHE [à moitié caché par la photo] /// ZZZZZ /// …ASTRES /// ECOUTEZ /// LA GRANDE SOURDE»

Références

Deux albums possèdent, à un point d’exclamation près, le même titre : FUMEURS et FUMEURS ! Les numéros 6’ et 7’ leurs sont respectivement attribués et tous opèrent des variations sur le même texte.

Il existe un dessin nommé «FUMEURS !» de Luca au Centre Pompidou, qui fait partie du coffret «la voix silanxieuse».

Remarques

L’album joue d’un fort ressort comique par l’association des photographies au texte. À la notation «L’,,L’ORDRE DES ASSASSINS’’» suit trois photographies de gradés de l’armée, une de chasseur avec sa proie et enfin celle d’un diacre.

«DIEU-MOUCHE» est une référence à Belzébuth, littéralement «dieu des mouches», reconnu dans le monde sémite.

La notation «EN PASSANT» est en vis-à-vis d’une photographie d’acrobates. Ce parallèle est typique de la pensée de Ghérasim Luca, où le travail du poème est envisagé comme un jeu d’équilibrisme et le «passage» comme le mouvement nécessaire, d’un état à un autre, par le poème.

La «GRANDE SOURDE» renvoie certainement à une variation de la «grande muette», périphrase de l’armée française. Cette expression appelle également certains traits de la pensée de Luca, notamment exprimés dans «Le Verbe», Le Chant de la carpe (éd. Le Soleil Noir, 1973), p. 34 : «nos corps miment la vie sourde / ou absente / de n’importe quel mot».

ŒDIPE SPHINX – Ghérasim Luca

non daté [1963-1970], ex. unique.
– 94 p. ; 19 x 13 x 4,5 cm ; (24’) – album de cartes postales, 44 cartes ; texte dactylographié sur papier lithographie Japon crème, Barjon de Moirans, Isère.
– couv. cartonnée rouge et marbrée ; 47 planches, papier fort gris avec encoches.
Fonds Ghérasim Luca, donation Micheline Catti ; inv. n° 072 23.

Détails

Album de cartes postales, 47 pages de papier fort gris, deux encoches à chaque coin.

Couverture cartonnée, rouge et marbrée, dorures, quatrième de couverture identique mais sans dorures ; dos, inscription «CARTES POSTALES».

44 cartes postales «ethniques» ou coloniales, début XXe siècle, issues de divers pays d’Afrique.

Texte dactylographié en majuscules et minuscules noires sur encarts de papier à lithographie Japon crème, Barjon de Moirans, Isère (filigrane partiellement visible), 14 x 5,5 cm.

Alternance irrégulière d’encarts vides et d’encarts dactylographiés ; texte manuscrit au crayon de graphite au dos de chaque carton dactylographié ; orientation du texte (paysage/portrait) relative à l’orientation de la carte adjacente ; texte systématiquement en vis-à-vis d’une carte postale, sauf le titre.

L’album ŒDIPE SPHINX pose la question du procès de Francfort – ou “deuxième procès d’Auschwitz” –, en vis-à-vis de photographies ethniques, traces encore chaudes de la colonisation en Afrique. Mais le crime historique ne se résorbe pas par son jugement. Ghérasim Luca figure cette impasse en slogan tautologique : «Ni pardon, ni châtiment, à perpétuité* / *Hiroshima… / Budapest… / Congo…»

Transcription

«OEDIPE SPHINX /// Au nom / des / hors-la-loi / d’hier /// au nom / des / hors-la-loi / d’aujourd’hui /// le rescapé d’Ausschwitz [sic] /// et le rescapé SS /// s’interrogent /// au tribunal de Francfort /// [double page de cartons vides] /// Comment condamner au nom de la loi /// le crime commis au nom de la loi /// et comment pardonner au nom de la loi /// le sang versé au nom du sang /// [double page de cartons vides] /// La question / dépasse la réponse /// et l’accusé, le box /// [double page de cartons vides] /// Ni pardon / ni châtiment / à perpétuité* /// Hiroshima… /// Budapest… /// Congo… /// Au nom / des / hors-la-loi / d’hier /// au nom / des / hors-la-loi / d’aujourd’hui /// le rescapé d’Ausschwitz [sic] /// et le rescapé SS /// [4 photos identiques en deux doubles pages consécutives] /// s’interrogent /// au tribunal de Francfort /// [double page de cartons vides] /// Comment condamner au nom de la loi /// le crime commis au nom de la loi /// et comment pardonner au nom de la loi /// le sang versé au nom du sang /// [double page de cartons vides] /// Ni pardon / ni châtiment / à perpétuité /// *Hiroshima… /// Budapest… /// Congo… /// [deux doubles pages de cartes] /// [dernière page = emboîtement de 4 morceaux de carton de part et d’autre du papier fort]»

Références

Texte issu des Paralipomènes (éd. Le Soleil Noir, 1976), «Œdipe Sphinx», p. 26-27.

Le texte est presque parfaitement identique à l’édition courante, jusqu’au respect exact des retours à la ligne et espacements – ici mis en scène par des sauts de page. Le texte est toutefois écrit deux fois à la suite dans l’album.

La seule différence est la notation «Ausschwitz», qui fait paraître le «SS» au cœur d’«Auschwitz», quand l’édition courante ne laisse qu’un «s».

Liste et origines des 44 cartes postales

19 phototypies, Dauvissat Paris, «Collection S.H.O» (Congo / Gabon), ca. 1929.

13 phototypies J. Bienaimé, «Missions des P. P. du Saint-Esprit».

2 Collection générale fortier, Dakar (Sénégal / Afrique occidentale).

1 «mission catholique» (Yoko,Cameroun), carte festonnée, bords blancs, papier glacé.

4 Editions HPA-QUI, Paris (Congo Belge), papier glacé, carte festonnée, les 4 photos sont identiques.

2 phototypies Gorce Phot. -édit, Paris (Gabon).

2 phototypies coll. A Courboin (Congo).

1 non identifiée.

TIR À L’ARCANE MAJEUR – Ghérasim Luca

non daté [1962-1963], ex. unique.
– 44 p. ; 25 x 21 x 7 cm ; (O’) – album photo ; texte autographe, diverses techniques : «aux petits points», lettres capitales, encre rouge sur papier ivoire d’Annonay ; mine de graphite sur papier ivoire d’Annonay ou à même l’album ; encre noire, «aux petits points», caractères gras, au verso de certains encarts manuscrits ; 2 dessins «aux petits points» sur deux cartes de tarot imprimées.
– couv. cuir noir frappé ; 20 planches, carton fort ajouré.
Fonds Ghérasim Luca, donation Micheline Catti ; inv. n° 070 23.

Détails

Album photo de 20 planches de carton fort, ajouré de part en part (1 ou 2 fenêtres par page).

Couverture en cuir noir frappé, insigne centrale type blason, renforts de coins à motifs floraux et cabochons, en métal chromé ; tranches dorées ; gardes de papier fort blanc moiré et strié.

Photographies diverses (portraits, paysages urbains ou ruraux, bâtiments, bébés).

Deux cartes de tarot avec texte imprimé dans les premiers ajours, texte imprimé entouré de dessins originaux «aux petits points», de couleur jaune, orange, rose et noir, et texte manuscrit au dos de la première carte.

Textes autographes, diverses techniques sur papier ivoire d’Annonay : lettres capitales «aux petits points», à l’encre rouge; «aux petits points» en caractères épais ou non, à l’encre noire (au verso de certains encarts manuscrits à la mine de graphite); à la mine de graphite sur papier ivoire; à la mine de graphite sur l’album.

TIR À L’ARCANE MAJEUR permet une exploration des virtualités en suspens dans le poème : chaque jeu de mot redistribue les cartes. Les personnages sont flottants et le sens de leurs interactions reste instable. Ils sont brouillés par la magie, l’acrobatie et les sciences divinatoires, dont l’équivalent dans le langage est le poème. Le dispositif de l’album, aux allures de grimoire ancien, est transformé par Ghérasim Luca en lieu de cet exercice magique.

Transcription

Au recto de la 1ère carte de tarot :

– Imprimé : «LA CARTE / Du tarot de la bohémienne endormie / on tire à l’arc en image heure / le bateleur pendu dans la maison d’yeux / Par les cordes dans la maison suspendue ! / GHERASIM LUCA»

– Dessin original aux petits points, orange, jaune, noir.

Au verso de la 1ère carte de tarot, mine de graphite :

– «TIR A L’ARC-ENFER // PAS DE CORDE À SON ARC ! / LE PENDU SANS CORDE NI ARC / TIRE LA LANGUE SANS CIBLE NI FLÈCHE»
2ème carte de tarot : même imprimé, dessin original aux petits points, rouge, orange, rose et noir, pas de texte autographe au dos

Corps du texte :

(souligné = lettres capitales, «aux petits points»)

«TIR À L’ARCANE / MAJEUR /// [carte de tarot 1] /// [carte de tarot 2] /// nulle corde à son arc /// ni corde /// ni pendu /// parler / corde // dans la maison du pendu /// le pendu / sans corde ni arc /// tire la langue / sans cible /// (tire la langue / sans cible) /// du tarot endormi /// l’arcane majeur /// pendu /// pendu au bateleur [sous les photos] /// pendu et bateleur [sous les photos] // A E // I [entre les fenêtres] // O U /// le bateleur pendu /// tir à l’arc-en-ciel /// la langue endormie /// parler endormi /// la bohémienne sans arc /// tire de la maison d’yeux /// le pendu sans langue /// du tarot de la langue sans langue /// on tir’ à l’arc-enfer /// suspendu par les cordes sans arc /// parler corde /// dans la maison / sans / cible»

Références

Paralipomènes (éd. Soleil Noir, 1976), «Apostroph’ Apocalypse», p. 75 : «En tête à tête / sous la guillotine // pendant la révolution / quotidienne // tirant hors tarot / et de la bouche du pendu // la langue des oiseaux».

Paralipomènes, «De l’alphabet au bétabet», p. 38 : «La Belle Anonyme tire / (la langue) / à l’arc / (sans-cible)» > « le pendu / sans corde ni arc /// tire la langue / sans cible /// (tire la langue / sans cible)».

Paralipomènes, «L’Amant dit cité», p. 39 : «L’AMANT DIT CITÉ / (Ton beau tombeau) // Le charmeur de serfs / pend sa langue // Fiat Lux ! / luxe âcre // Parler corde / dans la maison d’yeux» > «ni corde /// ni pendu /// parler / corde // dans la maison du pendu».

Paralipomènes, «Poésie élémentaire», p. 7 : «O vide en exil / A mer suave / I mage / E toile renversée / U topique» > «A E // I // O U». Le thème des voyelles renvoie à «L’Alchimie du verbe», de Rimbaud (Une saison en enfer), lieu de réflexion récurrent de Ghérasim Luca.

Les imprimés sur les cartes de tarot se trouvent exactement retranscrits dans les Sept slogans ontophoniques (José Corti, 2008), p. 39 : «DU TAROT DE LA BOHÉMIENNE ENDORMIE / ON TIRE A L’ARC EN IMAGE-HEURE / LE BATELEUR PENDU DANS LA MAISON D’YEUX // PAR LES CORDES DANS LA MAISON SUSPENDUE» > «LA CARTE / Du tarot de la bohémienne endormie / on tire à l’arc en image heure / le bateleur pendu dans la maison d’yeux / Par les cordes dans la maison suspendue ! / GHERASIM LUCA».

Remarques

Dans la revue Arcane 17 (New York, 1945), André Breton parle du «Soleil noir» dans les jeux de tarot. Ces thématiques sont des objets de fascination récurrents dans les sphères surréalistes.

Les «arcanes majeures» sont les cartes 21 ou 22 du jeu de tarot, utilisées pour faire de la divination. Ces chiffres font écho aux 22 planches (2 gardes + 20 cartons forts) de l’album. Cette particularité justifie sans doute la thématique choisie et semble attester d’une étude précise des albums par Ghérasim Luca, préalable à chaque composition.

Particularités

L’album comporte un ajournement vide, laissant une ouverture de part en part. Procédé similaire dans l’album «À» et INDICIBLE INDICE CIBLE.

Le verso de certains encarts manuscrits à la mine de graphite comporte une reproduction du même texte qu’au recto, à l’encre noire, «aux petits points», en caractère épais ou non. Soit un fonctionnement inverse par rapport aux autres albums, où les textes à la mine de graphite se trouvent sous les encarts manuscrits «aux petits points».

L’Humour manqué – Ghérasim Luca

non daté [1962-1963], ex. unique.
– 26 p. ; 24 x 19 x 6 cm ; (M’) – album photo, 13 clichés ; texte autographe, «aux petits points», lettres capitales, sur canson noir.
– couv. velour rouge ; 11 planches, carton fort ajouré.
Fonds Ghérasim Luca, donation Micheline Catti ; inv. n° 069 23.

Détails

Album photo de 11 planches de carton fort, ajourées de part en part (1 ou 2 fenêtres par page) ; photographies de famille (portraits fin XIXe siècle).

Couverture velour rouge très abîmée ; fermoir métallique endommagé ; deux écoinçons métaliques en relief, un ornement central métallique à motifs floraux ; gardes en carton fin, noir, motifs étoiles argentées ; tranches dorées.

13 photographies XIXe siècle, portraits de mariage, de soldats, d’un enfant et de femmes ; format cabinet ou carte de visite ; dans une fenêtre format cabinet, un feuillet de canson noir sur lequel sont collées deux photos, l’une est un portrait de femme, l’autre une photo délavée, tâchée de rouge ; certaines fenêtre au cadre déchiré, recollées à même les photographies (indication de manipulations nombreuses).

Textes autographes aux petits points, blanc sur noir, en capitales, dans les encadrements sur feuillets découpés au format de la fenêtre, Canson noir granuleux.

Notations autographes à la mine de graphite sous les photographies ou feuillets (non visible sauf à retirer les photographies et feuillets).

Cet album explore la problématique du manque, en particulier l’arrachement du soldat à son mariage, pris par la guerre. Au fur et à mesure de son avancée, l’album propose le passage des photographies de mariage, aux photographies de soldats, pour finir sur un collage où une photographie de femme est jouxtée à un tirage délavé, comme tâché de sang. Une narration photographique permet donc d’éclairer les non-dits d’un texte volontairement elliptique sur le sujet de la perte.

Transcriptions

Transcription des textes visibles, aux petits points :

«L’HUMOUR / MANQUÉ /// MANQUÉ /// COMME L’ACTE /// ÉCLATE /// DE RIRE SOURD»

Transcription complète avec numéro de pages, à partir du début des pages en carton fort :

(en gras = texte visible; barré = texte raturé) :
«SUR / LA VOIE / LACTÉE [1] /// L’ACTE [2] /// ,,T’’ [3] /// L’HUMOUR / MANQUÉ [4] /// MANQUE [8] /// COMME L’ACTE [8] /// ÉCLATE [12] /// ON PORTE LA CROIX-SANS-TÊTE / NI ,,É” CROIX (SANS ,,T”) / (,,ET’’ NIÉ) / (DONC NI ,,É’’) [13] /// DE RIRE SOURD [15] /// SANS OMBRE [16]/// NI PROIE [16] /// L’HOMME-ROI / NIÉE [18] /// NIÉ / L’HOMME-ROI [18]»

Références

Les références portent ici sur les sections cachées du texte, lesquelles renvoient à des textes connus, ou du moins à certains traits de textes connus.

«SANS OMBRE /// NI PROIE» [p. 16] > jeu autour du titre du recueil La Proie s’ombre (José Corti, 1991). «Lâcher la proie pour l’ombre» est une locution récurrente dans l’œuvre de Ghérasim Luca. Référence que l’on trouve également dans les Sept Slogans ontophoniques (José Corti, 2008), p. 53 : «La proie s’ombre. / Ni ombre ni proie. / Mot-clef pour porte-parole.»

«SUR / LA VOIE / LACTÉE» [p. 1] > titre d’une section de Héros-limite (éd. Le Soleil Noir, 1953), «La voie lactée», p. 33.

«ON PORTE LA CROIX-SANS-TÊTE / NI ,,É” CROIX (SANS ,,T”) / (,,ET’’ NIÉ) / (DONC NI ,,É’’)» [p. 13] > renvoie, comme de nombreux albums, à un passage récurrent des Paralipomènes (éd. Le Soleil Noir, 1976), p. 85, 86, 87, 88 : «La supérieure virgule ( ’ ) / Le supérieur inconnu ( ) / en « tête à tête » / sans « t » ni « é » / à santée niée».

Particularités

Ce texte présente de nombreux textes à la mine de graphite cachés derrière les encarts noirs ou les photographies. Il est fréquent que des premières notations, souvent à la mine de graphite, se trouvent soit directement sur les feuilles qui séparent un côté et l’autre d’un ajournement, soit au dos des encarts manuscrits, soit au dos des photographies. Il peut s’agir de repères ou de traces de tentatives précédentes, mais également de parties délibérément dissimulées, enjoignant à un jeu d’interaction où les détails du dispositif s’ouvrent aux curieux. En atteste, pour cet album, la continuité entre les notations dissimulées qui répètent la partie de texte qui les cachent et les éléments cachés qui offrent une extension du texte. En outre, le rapport thématique à la surdité et à l’acte manqué ainsi que la proximité chronologique avec d’autres textes jouant de ces dissimulations font pencher vers l’hypothèse d’un dispositif pensé en ce sens.

Monsieur Paris – Ghérasim Luca

non daté, ex. unique.
– 34 p. ; 25 x 19 x 6 cm ; (ø) – album photo ; texte autographe, mine de graphite, lettres capitales, sur l’album.
– couv. cuir frappé marron ; 14 planches, carton fort ajouré.
Fonds Ghérasim Luca, donation Micheline Catti ; inv. n° 067 23.

Détails

Album photo de 14 planches de carton fort ajourées de part en part (1 ou 2 fenêtres par page).

Couverture cuir frappé marron ; fermoir métallique absent ; coins renforcés, ornement en forme de blason et cabochons métalliques ; gardes en papier fin blanc, moiré et strié, page liminaire de carton fin ; tranches dorées.

Photographies de famille (principalement portraits, pris à Lille et Paris à la fin du XIXe siècle).

Textes autographes à la mine de graphite, en capitales, sur l’album, entre et au-dessus des encadrements.

Carte postale et portrait collés sur les pages liminaires cartonnées, notations autographes.

Cet album figure comme un des plus énigmatiques de la collection. Proche de rébus et du texte à trou, il entretient un dialogue étonnant avec les photographies. On peut certainement faire de la notation «ALBUM DE NON-FAMILLE», sous-titre de l’album, un concept même de ce qui se joue pour Ghérasim Luca dans l’élaboration de ces livres. Le lien familial qui justifie l’«album de famille» est détourné, distendu et récupéré au profit d’une manière plus large de faire sens, au-delà de la raison première de l’album. Tout élément du dispositif intègre désormais le fonctionnement de l’album de non-famille, du timbre poste ou de l’encart vide, jusqu’aux informations et signatures des photographes.

Transcription

«[sur la carte postale, sur un tampon «Lille», manuscrit «Monsieur Paris*» : astérisques «soleil» renvoyant en bas de page aux notes manuscrites suivantes :] / * L’ILE / ** ALBUM DE NON-FAMILLE /// COUPLE INSOLITAIRE / P….. A….. / L… M…….. /// LES TROIS SOEURS // M…….. H…….. / D…….. / A / P / L… M…….. / M…….. /// P / A / C / D / F / H / L / M /// P / A /// A /// A / P.. /// P / A / D . . / P . . . . . . /// COUPLE /// COUPLE /// COUPLE /// COUPLE /// COUPLE /// [«L», sur l’encadrement de la photo] / M /// C R I L L O N ’ / R U E V I V I E N N E /// COUPLE /// COUPLE /// COUPLE /// «COMME» // L M // COUPLE INSOLITAIRE »

Références

Dans les Sept slogans ontophoniques (éd. José Corti, 2008), p. 69 : «A – FEMME / LE COUPLE INSOLITAIRE // VRAI SEMBLABLE MENT» > «L M // COUPLE INSOLITAIRE».

La «RUE VIVIENNE» est la rue où a habité le Comte de Lautréamont, comme mentionné par Ghérasim Luca dans une notation autographe sur la troisième carte postale de l’album DROIT DE REGARD SUR LES IDÉES (vol. 1).

LE CRI-TAIRE – Ghérasim Luca

non daté [1962-1963], ex. unique.
– 38 p. ; 28 x 22 x 7 cm ; (H’) – album photo ; texte autographe, mine de graphite, lettres capitales, sur papier beige ; retranscription partielle dactylographiée.
– couv. basane noire ; 17 planches, carton fort ajouré.
Fonds Ghérasim Luca, donation Micheline Catti ; inv. n° 065 23.

Détails

Album photo de 17 planches de carton fort ajourées de part en part (1 ou 4 fenêtres par page).

Textes autographes, lettres capitales, crayon de graphite, sur 16 feuilles fines beige ou canson granuleux beige (format carte de visite ou cabinet) insérés dans les ajours, et deux notations sur l’album ; dernière notation au recto de la dernière garde, autographe, mine graphite, minuscules ; feuillet mobile dactylographié, retranscription partielle du poème.

Couverture en basane noir ; fermoir métallique absent ; gardes en carton fin vert, imprimés végétaux et dorures.

Photographies de famille fin XIXe siècle format cabinet ou carte de visite (nombreuses redondances, avant dernière photo retournée) ; une carte postale format carte de visite, découpage de silhouette noir sur blanc ; tranches dorées.

Textes autographes, lettres capitales, crayon de graphite, sur 16 feuilles fines beige ou Canson granuleux beige (format carte de visite ou cabinet) insérés dans les ajours, et deux notations sur l’album ; dernière notation au recto de la dernière garde, autographe, mine graphite, minuscules ; feuillet mobile dactylographié, retranscription partielle du poème.

«L’auto-sabotage comme un des beaux-art de v’ivre» est une phrase programmatique pour la lecture des albums de Ghérasim «(LOUP) K». Elle cerne la dimension introspective de son travail, toujours entrecoupée d’humour et d’impossibilité à se dire autrement qu’au miroir anachronique des portraits d’autrui. Outil de démystification du «POÈTE MAUDIT» et glace déformante, l’album photo informe et détourne, contre le confort du «MOT-DIT».

Transcription

«LE CRI-TAIRE /// DE MONSIEUR… /// (LOUP) /// …K /// AU K BARRÉ * /// * MONSIEUR / ZÉRO /// «PAUL /// BOURGET /// EN… » /// [robe peinte en bleu et décor en rouge/vert] /// … CALE-SON /// FAUSSER / LE POÈTE MAUDIT /// (HAUT DE FORME /// BAS FOND) /// EFFACER / LE MOT DIT /// [photographie abîmée au niveau du cou] /// [mention manuscrite en minuscule sur le recto de la dernière page de carton fin :] L’auto-sabotage comme un des beaux-art de v’ivre /// [sur feuillet volant : retranscription dactylographiée ; manuscrite pour la dernière phrase]»

Références

Si on ne note pas de ressemblances majeures entre cet album et les Paralipomènes (éd. Le Soleil Noir, 1977), des éléments de lexique font remarquer des interrogations communes :

Paralipomènes, p. 29 : «LE POÈTE MAUDIT / … le monde» > «FAUSSER LE POÈTE MAUDIT»

Paralipomènes, p. 57 : «CRIER TAIRE SOURIRE FOU» > «LE CRI-TAIRE».

Paralipomènes, p. 69 : «V’ivre l’apocalypse / c’est v’ivre la vie manquée» > «L’auto-sabotage comme un des beaux-art de v’ivre».

Remarques

La communication s’établit surtout avec d’autres albums. «À» (photo renversée); LE MORT EN COLÈRE; À BRAS OUVERT MAIN COUPÉE (retranscription dactylographiée). Ces proximités attestent l’idée d’une continuité chronologique entre albums, mais permettent également de voir se dessiner un projet commun entre les albums d’une même période (cf. organisation par pastilles numérotées, ils sont respectivement identifiés comme : C’, D’, E’ et H’).

QUAND UN CORPS SONORE – Ghérasim Luca

Paris, 1962, ex. unique.
– 52 p. ; 27 x 21 x 6,5 cm ; (IV) – album photo, 33 clichés ; texte autographe, «aux petits points», lettres capitales, encre noir sur canson ivoire ; 27 dessins «aux petits points».
– couv. skyvex noir frappé ; 24 planches, carton fort ajouré.
Fonds Ghérasim Luca, donation Micheline Catti ; inv. n° 068 23.

Détails

Album photo Kodak (ca. 1900-1920) de 24 planches de carton fort ajourées de part en part (deux fenêtres par page, sauf 14 pages couvertes de carton ivoire) ;

Couverture skyvex noir frappé, dorure «Kodak Souvenirs» sur le premier plat ; gardes en carton rigide, doublé d’un papier blanc moiré et strié ; tranches dorées ;

33 photographies début XXe siècle, format carte de visite (11×8 cm), imprimées sur papier très fin, glacé ou non, paysages divers (ruraux, urbains, ruines, ports, rivages, rochers, églises et châteaux), principale redondance : présence d’eau (rivière, lac, cascade, mer) sur 18 photographies ;

Textes autographes «aux petits points» noirs, lettres capitales, sur 13 feuillets de canson granuleux et gras, ivoire, dos lisse et marron, découpés format carte de visite (traits de découpe visibles), insérés dans les ajours sans photographies ; 5 feuillets laissés vides ; dernier feuillet comportant la signature de l’artiste à la mine de graphite et la date ;

27 dessins «aux petits points», à l’encre noir sur canson granuleux et gras, ivoire, verso lisse et marron : 12 en pleine page (24,2 x 15,6 cm), sur canson collé directement sur l’album, 15 en format carte de visite, insérés dans les ajours, dont deux paires au format carte de visite, sur une même page, qui se complètent.

Cet album comprend un texte inédit et vingt-sept dessins originaux pour former ce qui peut être l’album le plus abouti de la collection. Un jeu se développe dans la gestion du dispositif, entre pleins et vides : le propos du texte, sur la nature des ondes sonores, est mis en écho plastiquement par le rapport qu’entretiennent les segments de texte, les photographies, les blancs et les dessins.

Transcription

«[capitales, encre noir, «aux petits points» :] QUAND UN CORPS SONORE A ÉTÉ / FRAPPÉ, SES MOLÉCULES ÉPROU- / VENT AUSSITÔT UN MOUVEMENT / DE VIBRATION OU D’ONDULATION [1] /// L’AIR QUI ENVIRONNE CE CORPS / PARTICIPE A CE MOUVEMENT ET / FORME AUTOUR DE LUI DES ONDES / QUI NE TARDENT PAS À PARVENIR À / L’OREILLE [2] /// [dessin pleine page] [3] /// L’AIR EST DONC LE PRINCIPAL VÉHICULE / DU SON, QUI SE PROPAGE AVEC UNE / VITESSE DE 340 MÈTRES PAR SECONDE ; / LES LIQUIDES QUI LE TRANSMETTENT / AVEC LE PLUS DE RAPIDITÉ, SA VITESSE / PAR SECONDE DANS L’EAU EST DE / 1425 MÈTRES [5] /// [format portrait dans la largeur] DANS LES SOLIDES, LA VITESSE / EST ENCORE PLUS GRANDE, / AUSSI A-T-ON L’HABITUDE DE / SE COUCHER À TERRE QUAND / ON VEUT RECONNAÎTRE UN / UN BRUIT QUE NE PERÇOIT / PAS ENCORE L’OREILLE DE / CELUI QUI EST DEBOUT [7] /// [même page, dessin] [7] /// LE SON NE SE TRANSMET / PAS DANS LE VIDE [8] /// [dessin unique coupé en deux, réparti sur les deux ajours] [9] /// [dessin dans le deuxième ajour de la même page : même dessin coupé en deux] [9] /// SON INTENSITÉ AUGMENTE / OU DIMINUE EN MÊME TEMPS / QUE LA DENSITÉ DU MILIEU / QUI LE TRANSMET [11] /// C’EST AINSI QU’AU SOMMET / DU MONT BLANC, OÙ L’ / AIR EST TRES RARÉFIÉ, / UN COUP DE PISTOLET / NE FAIT PAS PLUS DE / BRUIT QU’UN COUP DE / FOUET DANS LA PLAINE [13] /// LORSQUE LES ONDES SONORES / RENCONTRENT UN OBSTACLE FIXE, / ELLES SE RÉFLÉCHISSENT DE / TELLE SORTE QUE L’ANGLE / DE LA RÉFLEXION EST ÉGAL À / L’ANGLE DE L’INCIDENCE [14] /// [dessin dans l’ajour gauche] [15] /// [dessin dans l’ajour droit] [15] /// C’EST SUR CETTE / PROPRIÉTÉ QU’EST / FONDÉE LA THÉORIE / DE L’ÉCHO [16] /// [carton vide dans l’ajour droit] [18] /// [carton vide dans l’ajour gauche] [19] /// [dessin pleine page] [20] /// [dessin petit format dans l’ajour gauche de la page en vis-à-vis] [21] /// AU MOMENT [22] /// OÙ [22] /// [photo d’église dans l’ajour gauche] [23] /// [dans l’ajour droit :] MIDI A SONNÉ / MARQUE LE FAIT // MIDI EST SONNÉ / MARQUE L’ÉTAT [23] /// [double page de dessins pleines pages : double page centrale] [24-25] /// [double page de dessins pleines pages] [26-27] /// NE SONNER MOT [28, ajour gauche] /// NE SONNER MOT [29 ajour droit] /// [dessin] [30 ajour droit] /// [dessin] [31 ajour gauche] /// [dessin pleine page] [32] /// [retour des encadrements format paysage, dans la hauteur] /// [dessin ajour supérieur] [35] /// [double page de dessins pleine page] [36-37] /// [dessin ajour supérieur] [38] /// [dessin ajour inférieur] [38] /// [dessin ajour inférieur] [39] /// [double page de dessins pleine page] [40-41] /// [dessin pleine page] [42] /// [dessin unique coupé en deux, réparti sur les deux ajours] [43] /// [carton vide dans l’ajour supérieur] [44] /// [carton vide dans l’ajour supérieur, dessin dans l’ajour inférieur] [45] /// [double page, cartons pleine page collés] [46-47] /// [carton supérieur vide, carton inférieur avec mentions autographes, mine graphite, écriture cursive :] gherasim luca // Paris 62»

Remarques

Ce texte de 1962 est très complémentaire de Je m’oralise (écrit en 1960 pour introduire la lecture de «Passionnément» [Le Chant de la carpe], voir Europe, n° 1045 [«Ghérasim Luca», dir. Serge Martin, p. 91; texte ensuite publié chez José Corti en 2018]). Ces deux textes peuvent être rapprochés par leur dispositif, leur ton et leur mise en question de l’espace par la vibration.

Particularités

La majorité des albums comportent une pastille annotée, collée sur le revers du premier plat. Contrairement aux autres albums, dont l’annotation se fait en chiffre arabe ou par une lettre, celui-ci est le seul à comporter le chiffre romain «IV», alors même qu’il est composé sur une période similaire aux autres albums.

Aussi, contrairement à la plupart des albums, les photographies ne sont pas des portraits mais des paysages, comportant essentiellement des plans d’eau, rivières ou scènes côtières.